C’est en marchant cet après-midi de fin octobre dans les rues de Tokyo, prenant conscience du privilège que j’avais de côtoyer cette belle culture japonaise, que m’est venue l’idée de cet article.
J’ai toujours beaucoup aimé voyager ; j’en ai à chaque fois retiré de belles émotions et de précieux apprentissages. Passionné de longue date par le Brésil et par les Etats-Unis, deux pays où j’ai vécu et dont l’incroyable énergie me saisit à chaque fois, je ressens cette même passion mais pour des raisons différentes. En effet, chacun de ces deux pays possède une énergie particulière, une histoire spécifique et sa propre identité culturelle ; une identité très forte dans les deux cas. Je pourrais lister en détail ce qui m’y attire particulièrement (et ce qui m’y attire moins aussi) dans l’un puis dans l’autre ; et à des degrés divers, je pourrais également le faire pour chaque pays qu’il m’a été donné de découvrir au fil des ans. Et c’est là que je mesure à quel point chaque contrée possède une richesse intrinsèque qui la rend unique.
Le Japon, où je me trouve actuellement pour raisons professionnelles, est le 3ème pays pour lequel je me suis passionné depuis l’adolescence ; notamment à travers la pratique des arts martiaux et un intérêt marqué pour les philosophies extrême-orientales. Ce pays insulaire à la personnalité forte et complexe, entre tradition et modernité, entre pudeur et excentricité, n’est comparable à aucun autre et le moins qu’on puisse dire, c’est que le visiteur occidental est servi en termes de dépaysement car il est total !
Parmi les impressions marquantes, même si j’ai conscience qu’elles ne relatent qu’une facette du Japon actuel qui en comportent de nombreuses, voici quelques traits qui me paraissent sources de réflexion et d’enrichissement pour nous occidentaux :
1. Calme et maîtrise
Il est frappant de constater que l’on peut se trouver dans une immense mégalopole comme Tokyo -13,6 millions d’habitants, 42,7 millions en comptant l’agglomération, soit l’aire urbaine la plus peuplée au monde- et avoir une impression générale de calme. Même dans les quartiers très animés à forte densité, pas de coups de klaxons intempestifs, pas de cris, ici on ne s’agite pas inutilement.
Du comportement des Japonais se dégage une maîtrise qui est de fait apaisante. La manière de gérer le risque permanent de catastrophes naturelles (rien ne les épargne, tremblements de terre, typhons et autres tsunamis) en est une illustration qui force le respect, les Japonais y sont constamment préparés psychologiquement aussi bien que matériellement. C’est peut-être là une forme de culture de détachement du monde où l’on vit d’abord dans l’instant…
On ressent également un niveau élevé de sécurité, permettant d’aller et venir partout et à toute heure à Tokyo sans se sentir en danger à aucun moment. Il y a peu de délinquance et la sécurité est bien assurée par l’Etat par une action de proximité dans les quartiers.
2. Sobriété, souci du détail, esthétique et délicatesse
L’approche zen reste très présente dans le cadre de vie et le quotidien des Japonais. Cela s’observe par exemple dans la décoration qui reste souvent très épurée, permettant à l’essentiel de s’exprimer. Ou encore dans l’alimentation qui associe la plus grande sobriété à la plus grande créativité, et qui est généralement très saine, pauvre en sucres, contribuant à une espérance de vie qui s’affiche comme la plus élevée au monde. Un véritable art culinaire dont il faut espérer qu’il dure car la junk food en provenance de l’Occident se développe néanmoins peu à peu, notamment chez les jeunes.
Par ailleurs, les autres arts pratiqués au Japon associent la même sobriété minutieuse, le même esprit mis dans la recherche d’esthétique pure, on le sait par exemple pour la cérémonie ou plutôt l’art du thé, pour la calligraphie ou encore l’art floral, pour n’en citer que quelques-uns. Cette délicatesse qui passe par la réflexion, par la posture et par les gestes se traduit dans la manière d’être de la population dans sa majorité. Elle confine à une forme de dignité qui ne laisse pas indifférent.
3. Qualité, propreté et efficience
Ici, on ne transige pas avec la qualité sous toutes ses formes, c’est un sport national et le soin (mot pris au sens large) est apporté à tous les niveaux, dans les moindres détails, y compris sur le plan hygiénique (on pourrait presque manger par terre dans le métro !). Et pour y parvenir, l’intelligence, l’organisation et la technologie sont mises en œuvre pour la meilleure efficience possible au service de l’utilisateur. On pense pour vous à l’avance afin que rien ne passe au travers. Même dans un musée consacré à l’Empereur Meiji que j’ai visité, des lignes au sol vous guident pour vous permettre d’optimiser votre visite selon la logique de découverte qu’on vous propose et ça marche.
4. Gentillesse, serviabilité et respect
La gentillesse, la serviabilité et le respect s’expriment ici de nombreuses manières, apportent de la fraîcheur, c’est en tout cas comme cela que je l’ai ressentie et reçue en tant que visiteur, et on sent là une façon d’être profondément ancrée et partagée.
Cela commence dans l’avion (j’ai voyagé avec Japan Airlines), les hôtesses sont là pour vous rendre service et elles vous le font vraiment sentir, elles le portent sur leur visage souriant, dans leur attitude générale et le ton de leur voix. Cela se retrouve dans la rue lorsqu’on a besoin du moindre renseignement, les personnes sollicitées se montrent disponibles pour vous, agréables, prêtes à vous aider voire à vous accompagner (cela m’est arrivé plusieurs fois) pour être certaines que leur aide a été comprise…
Dans les rues, personne ne traverse au feu rouge, on attend avec les autres, dans le métro on suit la file (avant d’entrer dans la rame, en montant dans les escalators…), on respecte la distance et on ne passe pas devant les autres, etc. ; de fait, très naturellement, tout autre comportement devient d’emblée inconvenant, la force du système s’impose naturellement et assure la cohésion.
D’aucuns diront que ces comportements extrêmement courtois ne relèvent pas d’une intention sincère, qu’ils sont faciaux et ne correspondent qu’à des codes sociaux totalement programmés et convenus. Oui, bien sûr, tout est très codifié au Japon, y compris les formules de politesse dans les commerces, les restaurants…, mais que ce soit sincère ou non, le service est rendu, comme il faut, et avec le sourire, alors qui s’en plaindrait ?? Et par ailleurs, il appartient à chacun d’exprimer ses émotions comme il le veut, ou plus précisément comme il le peut. Contrairement à l’Occident, l’expression des émotions est traditionnellement tabou au Japon, mais acceptons volontiers ce qui nous est si agréablement offert et remercions pour chaque effort fourni en notre faveur !
5. Le sens du collectif et de la cohésion sociale
On sait l’importance prévalente du groupe au Japon, contrairement à l’Occident qui valorise en priorité le développement individuel. Cela est source de bien des incompréhensions interculturelles car on est fatalement bousculé par des cultures très différentes de la nôtre et c’est sans doute bien ainsi !
Le Japon nous apprend la solidarité du groupe dans un réflexe social de ne pas porter préjudice à cet équilibre collectif dont on voit en Occident qu’il a souvent tendance à se déliter… Mais la question n’est pas de comparer un système par rapport à un autre, d’abord je ne suis pas sociologue ni spécialiste de la question, et ensuite cela me paraît voué à l’échec (comme toute comparaison qui encourage à la dualité…). Les choses sont ainsi, il y a plein de raisons bonnes ou mauvaises pour les expliquer et elles se sont construites à travers les siècles. C’est l’échange interculturel qui est intéressant car il permet d’apprendre de l’autre, sans jugement, et de réfléchir dans le cas présent à la place que doivent prendre l’individu et le groupe au sein de la société. C’est ainsi que l’on peut progresser, individuellement et collectivement, d’où qu’on vienne.
En tant que partisan de l’équilibre, je pense qu’une société qui réussirait à favoriser le développement individuel (personnel, spirituel, matériel…) tout en fixant des règles de respect du groupe dans l’esprit de ce qui précède aurait tout compris ! Ces règles de savoir-vivre collectif sont essentielles et ne vont pas d’elles-mêmes, surtout quand on veut permettre à l’individu de se développer, c’est un fait, ce sont deux directions qui s’opposent facilement. Autrement dit, ramenons l’ego à sa juste place…
Et sans attendre de la société qu’elle fasse les choses à notre place, c’est à nous en tant qu’individus qu’il revient d’adopter avec intelligence les bons comportements, associant notre recherche d’épanouissement personnel légitime, indispensable, et le respect de notre prochain et de la société tout entière. Prenons le temps d’observer ce que font bien ceux qui fonctionnent différemment de nous, tirons-en les leçons et voyons comment cela peut devenir compatible avec nos propres usages. Loin de nous renier, nous en sortirons plus ouverts, enrichis, pour le bien de tous.
Et pour finir, je vous propose cette excellente vidéo illustrée sur le dialogue interculturel. Bon visionnage et à bientôt !
https://www.youtube.com/watch?v=IoX1rLt83Yg